LE ZEBU DE LA MER
Les
femmes ne peuvent traverser seules la grande forêt de Bevoay et
attendent toujours que quelques hommes les accompagnent, lorsqu’elles
se rendent au grand marché situé de l’autre côté, dans le
village de Talaky, à Madagascar.
De
puissants lémuriens habitent cette forêt, gris et blancs, souples
comme des singes auxquels ils ressemblent. Toujours furieux de la
présence des femmes, ils jacassent alors plus fort qu’elles, qui
hâtent le pas en poussant de petits cris d’oiseaux pris au piège.
Ils
ne sont pas plus méchants que cela les lémuriens de Bevoay.
Toutefois ils ont les femmes en horreur. Les hommes n’ont de leur
côté pas à subir de leurs attaques, sournoises et agaçantes.
À
qui est la faute ?
Dans
des temps fort reculés, des hommes se muèrent en lémuriens. L’un
de ces hommes, nommé Itovo, le devint définitivement après des
déboires matrimoniaux. Gambadant à travers la forêt, il fut très
réputé pour l’aversion particulière qu’il portait aux femmes.
Dans
sa période humaine, Itovo s’était uni avec une femme riche mais
méchante. Un sorcier avait dû assister au mariage pour garantir le
bonheur du couple par de nombreux ody
ou amulettes, qu’Itovo porta à son cou. Mais le sorcier avait mis
une interdiction, banale en soi : il ne devait pas toucher la
louche de bois pour prendre le riz en même temps que sa femme sinon
un grand malheur arriverait. Il n’en dit pas plus.
Le
ménage ne devait rencontrer aucune difficulté. De nombreux mois
s’écoulèrent dans un relatif bonheur.
Puis
vinrent les premières scènes conjugales. Les disputes devinrent de
plus en plus fréquentes. La femme avait visiblement un mauvais
caractère. Elle humiliait volontiers Itovo qui gagnait peu d’argent.
Ils ne continuaient pas moins à manger ensemble et Itovo conservait
malgré tout son bon appétit. Les paroles du sorcier semblaient
alors envolées.
Un
jour, sa femme lui reprocha durement sa goinfrerie coutumière. Il
rétorqua qu’il avait bêché et semé toute la matinée un champ
entier de maïs, sans prendre le moindre repos, ni même un voazavo,
une sorte de melon d’eau, pour se désaltérer. Le ton s’éleva :
Itovo, irrité après un dur labeur accompli, avait grand faim et il
comptait l’assouvir. Séparés par la largeur de la natte, ils n’en
vinrent pas aux mains, mais elle brandit la louche malencontreusement
placée entre eux et le frappa au visage.
Il
n’avait pas songé à cela le pauvre, qui vit la prédiction du
sorcier s’accomplir. Le grand malheur prit forme sur Itovo qui se
transforma peu à peu en lémurien, sortit par la porte basse,
s’élança dans le kily
ou le
tamarinier
voisin,
puis gagna la forêt proche, heureux de sa nouvelle liberté. Il ne
se retourna même pas. Sa femme n’en fit pas un drame. Elle ne
versa aucune larme.
C’est
depuis cette histoire que tous les lémuriens issus d’Itovo
conservent une haine tenace envers les femelles humaines. Ils ne
manquent d’ailleurs jamais de les poursuivre, de les pincer, chaque
fois qu’elles s’aventurent dans la forêt.
Yrène
et Safidy, 5ième
et Nancy, 4ième
du Collège Etienne de Flacourt, Toliara
Imaan et Tojo, 6ème |
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